Ce matin, Anne nous raconte sa balade en bord de mer, le bruit, l'odeur, le descriptif visuel, on chemine avec elle et sa promenade devient la nôtre. On peut ouvrir les yeux, replier notre tapis et mettre le poulet du dimanche à rissoler.
Je n'ai pas eu besoin d'étaler mon tapis, il m'a suffi un peu avant onze heures d'enfiler mes bottes. J'ai traversé le champ dans sa largeur en faisant craquer le chaume des tiges de maïs, ce craquement qui ramène à des bruits d'enfance, le café que l'on mouline, les coquillages qui deviennent sable sous les pieds. L'air est frais, j'ai ma vieille veste décolorée sur le dos, les mains dans les poches, un tour du coup au crochet pour garder la gorge au chaud. J'arrive en bas du champ, dernière rangée en lisière du pré. Plus bas coule le ruisseau, mais je ne le vois pas. Je me dirige vers le sud maintenant, le soleil est toujours sous sa couverture grise, remontée jusqu'au nez. C'est là que se concentrent les taupinières et j'ai une pensée pour papa et Jean P. qui prévoyaient une action de détaupage dans le jardin d’Anne ; arrêtés net dans leur projet par des injonctions au confinement. A Poulourou et sous terre on mesure sa chance en agrandissant les galeries. Les allées de boue se solidifient depuis plusieurs jours mais les traces d'animaux sont bien marquées et bien fraîches. Je reconnais le sabot du chevreuil, une autre empreinte me fait penser à celle du sanglier mais c'est peut-être simplement le pas du chien. On l'entend aboyer plus haut dans l'ancienne ferme Lein rénovée en maison d'habitation. Je pense à papa et me plaît à penser que je marche et découvre un lieu qu'il a fréquenté, il y a déjà presque 80 ans, vertige des années qui coulent dans les contrebas de nos vies. Jean-Yves, Sylvain, Joël m'accompagnent un moment; les chasseurs de la famille s'y connaissent en traces d'animaux, en taille et couleur de crottes, alors ces petites noires et allongées sortent de quel derrière ?